À un certain moment la Réunion avait été un paradis sur terre, mais désormais ça n’était plus vraiment le cas. Il suffit de s’y rendre et de voir par soi-même, la Réunion était devenue une pâle copie de la France, hormis les écarts (les villages perdus au fin-fond de la montagne) qui gardaient une certaine authenticité, le reste n’était plus qu’un galimatias ultra-moderne sans charme, ni culture, mais avec des centaines de modèles de télévisions à écran plat chinois et coréens à tous les prix dans les nombreux supermarchés de l’île.
Comme la plupart des hommes sensés, Paul pensait que les supermarchés étaient un poison. Comment tolérer une telle masse de produits à vendre sur une île aussi pauvre! La plupart des gens ici vivaient des aides sociales, mais ils ne se refusaient rien et payaient tout à crédit. Les organismes de crédit faisaient florès, ils étaient désormais intégrés à même le supermarché et permettaient à tous de s’endetter à vie. Les gens étaient devenus individualistes, tout le monde montrait à personne qu’il avait les moyens, mais tout le monde s’en foutait car de toutes façons chacun ne regardait au final que son propre chariot de courses.
Ces dettes étaient elles remboursées un jour? Mystère, Paul ne faisait jamais de dettes, il se payait quelque chose quand il en avait les moyens, ainsi « zéro tracas! » se disait-il dans son for intérieur, cette publicité lui était resté gravée dans la tête. Même si Paul rejetait toute cette société de consommation, il y avait tout de même certaines petites choses de ce monde qui avaient réussi à rentrer dans son cerveau. Il avait pris récemment une assurance « zéro tracas » justement, vu qu’il allait se marier bientôt.
Après s’être acheté un écran de télévision de marque Coréenne dans le supermarché du coin, Paul disposa son achat sur le siège arrière, entra dans sa voiture et démarra. C’était la fin de la journée, il prit le premier rond-point à la sortie du magasin, puis le deuxième rond-point qui menait vers l’entrée de l’autoroute. C’était l’été, la végétation était grasse et verte. Sous le soleil de la fin de journée, le vert habituel des plantes devenait plus éclatant. En bordure de chaque rond-point, quelques bouteilles en plastique trainaient par terre, ils étaient emportés par les voitures qui les attrapaient par la masse d’air qu’ils bougeaient en se déplaçant. Les bouteilles allaient et venaient jusqu’au moment où elles allaient trouver un rivage de l’Océan Indien. Arrivés dans l’eau, ces bouteilles allaient servir de nourriture aux poissons et étouffer quelques tortues géantes centenaires. Sur une île tout retourne toujours à la mer…
Paul était sur l’autoroute, il y avait beaucoup de chiens errants écrasés aujourd’hui, il n’avait pas pu en éviter un. La roue avant-droite avait roulé sur un de ces cadavres, dieu merci il avait un 4*4, il avait a peine ressenti une petite secousse, les amortisseurs l’avaient protégé d’une distraction dans sa conduite, le siège conducteur était parfaitement conçu et avait absorbé la petite secousse, permettant à Paul de profiter d’un confort optimal. Les français auront beau essayer, mais les voitures allemandes c’est quand même quelque chose!
Après quelques kilomètres, Paul sortit de l’autoroute, prit un autre rond-point, remonta vers la montagne, grimpa sur deux dos d’ânes, il n’eut même pas besoin de ralentir, vu la qualité exceptionnelle de ses (deutsch) amortisseurs. Au bout d’un kilomètre, il était chez lui, entra dans son garage et se mit à l’aise dans son salon. Paul aimait bien la musique, mais la musique un peu rare, il avait trouvé par hasard sur internet un album d’Ella Fitzgerald et Louis Armstrong qui l’avait immédiatement envoûté. Ca parlait d’amour déçu, Paul parlait bien anglais donc il comprenait les paroles, des paroles aussi magiques que la musique elle même.
Son amour à lui n’était pas déçu, Paul était en couple depuis déjà deux ans avec Julie, ils étaient amoureux. Il savait que Julie était la femme de sa vie. C’est pourquoi un soir où il l’avait emmené au restaurant, Paul demanda Julie en mariage. Paul s’était allongé dans son fauteuil, Ella and Louis chantaient leur amour dans ses oreilles et Paul se rappelait de la soirée de sa demande avec tendresse, il s’endormit.